Pays : USA
Durée : 1h55
Genre : Drame
Sortie : 17 janvier 2018
Réalisateur : Martin McDonagh
Distribution : Frances McDormand, Sam Rockwell, John Hawkes, Woody Harrelson
Histoire : Après des mois sans que l'enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant un message controversé visant le très respecté chef de la police sur trois grands panneaux à l'entrée de leur ville.
C’est une brume à la fois tendre et tenace. Une taie, habillant les vestiges nécrosés de rouille de ce qui, peut-être, fut un jour prospère ville industrielle, ou plutôt bourgade, bénéficiant des lucratives retombées de l’activité économique d’une région, désormais livrée à elle-même, sa propre violence, son désœuvrement, ses démons suprémacistes, ses quartiers à l’abandon, ses autoroutes coupant un peu plus le vrai pays de celui qui va bien.
Tendresse et ténacité ? La brume enveloppant la vallée alors que se lève le jour, plan d’ouverture, à vous donner le frisson, de 3 Billboards, les panneaux de la vengeance. Tendresse et effroi, alors qu’est suggéré, puis matérialisé par éclipse - notamment une scène de flash-back d’une grande beauté -, le martyr d’une adolescente « violée pendant qu’elle agonisait », dont la courte existence ne pèsera plus très lourd dans les consciences, une fois le temps médiatique passé sur les mémoires. Ténacité et colère grésillante de sa mère, bouleversante Frances McDormand dans le rôle de Mildred Hayes, décidée à empêcher la ville d’oublier le calvaire de sa fille et à se confronter à une police locale Prix Nobel de l’inefficacité, « plus occupée à torturer des noirs qu’à rechercher le ou les assassins » d’Angela Hayes. Francès-Mildred loue 3 panneaux (billboards) et y fait afficher une interpellation du chef de la police. Peu lui chaut que celui-ci, et elle le sait, soit un mort en sursis. Un malade atteint de cancer qui ne laissera pas la maladie lui dicter sa loi…
Et l’on se surprend à se demander ce qui a bien pu se dérégler et dans quelle mesure, dans ce Missouri sinon oublié de Dieu, du moins oublieux de ses enseignements, pour que la violence y devienne une façon de se saluer, pour qu’une femme, Mildred, donne sans vergogne des coups de pieds à des ados, devant leur lycée, sans soulever la moindre indignation chez les témoins de la scène ? Pour qu’un policier en tenue, sur un coup de sang, devant des badauds statufiés, défenestre un jeune, le roue de coup, et rentre au commissariat en traversant la rue, comme si de rien n’était ?
Avec 3 Billboards, Martin McDonagh ne signe pas seulement un grand film politique sur le féminisme au contact du réel, les violences racistes de la police américaine ou la déréliction de territoires entiers. Si l’âpreté et l’évidente justesse de ce film nous laissent une durable empreinte au cœur, ce n’est pas uniquement parce qu’il montre, bien qu’ayant germé il y a près de 10 ans dans l’esprit du réalisateur, une Amérique que nous redoutons et dont nous savons qu’elle existe aujourd’hui plus que jamais. La singulière portée du film tient peut-être également à son constat clinique du dysfonctionnement majeur de l’époque. Un monde dans lequel les existences semblent se croiser sans réellement se rencontrer, se superposer sans réellement cheminer ensemble. Même le couple apparemment parfait sous tout rapport entre Woody Harrelson (un peu plus magistral à chaque film) et sa femme, ne sait rien de sa propre vérité, de sa dynamique intime. Nulle part, de mère à fils, de mère à fille, de collègue respecté à collègue aimé, de voisins à voisins, ces existences n’entrent réellement en résonance. Chacun va son petit bonhomme de chemin de haines, de bêtise crasse, de cupidité, de coups reçus et coups portés, de violence subie ou infligée, de douleurs. À l’image d’une Frances McDormand tellement envahie par sa propre souffrance que plus rien d’autre ne compte. Ainsi, les plus légitimes à hurler leur souffrance nous envoient-ils systématiquement nous faire voir, nous spectateurs, quand nous nous apprêtions à faire preuve d’un minimum de compassion à leur égard.
3 Billboards n’est pas issu d’une sous-catégorie de « films des frères Coen ». C’est un vrai grand film de cinéma, le coup de poing en plein plexus solaire porté par un dramaturge et cinéaste toujours audacieux, un homme conscient, ne pratiquant ni l’esbroufe, ni la facilité du buzz mais qui, ne cédant rien de sa sensibilité, de son empathie pour l’être humain, ne s’embarrasse pas de demi-mesure, quand il s’agit de montrer à chacun de nous de quel bois se chauffe le monde que nous construisons.
Publié le 16/01/2018 par Audrey Pulvar