Pays : USA
Durée : 1h32
Genre : Drame
Sortie : 20 décembre 2017
Réalisateur : David Lowery
Distribution : Casey Affleck, Rooney Mara
Histoire : M et C filent le parfait bonheur dans leur petit bungalow loué, situé dans une banlieue anonyme du Texas. Alors que la perspective d'une vie de famille leur sourit à tous les deux, C meurt dans un bête accident de la route. Allongé à la morgue, recouvert d'un drap blanc, il se dresse et marche jusqu'à la maison, où M, encore sous le choc de son trépas, ne le voit pas. Posté dans les divers coins de la maison, il l'observe quand elle est là, attend son retour quand elle s'absente, reste cloué sur place quand elle déménage.
Du réalisateur des Amants du Texas et Peter et Elliott le dragon, on n’attendait pas forcément grand-chose. Non pas que ses deux premières tentatives dans des univers et des systèmes de production bien différents, ne nous avaient pas plu mais on avait encore du mal à situer l’artiste. Si on n’est pas encore sûr de notre fait, sans doute toujours abasourdi d’un film que l’on a pourtant découvert en septembre dernier au festival de Deauville, l’évidence s’impose : David Lowery a en lui l’étoffe d’un très grand cinéaste. Et si jamais il n’arrive plus à retrouver l’inspiration de A ghost story, il pourra toujours s’enorgueillir d’avoir le temps d’un récit stupéfiant atteint un certain idéal de cinéma. Celui qui marque à jamais le spectateur, celui dont on se remémore des années plus tard avec des trémolos dans la gorge, les yeux embués et le sourire de celui qui veut absolument faire partager son enthousiasme à ceux qui seraient passés à côté de ce chef d’œuvre.
Bing, le mot est lâché, il est énorme et pourtant si justifié. Comment un film peut-il atteindre un tel statut aussi rapidement ? L’évidence ne s’explique pas, il se vit et le meilleur des conseils serait de s’arrêter là, de nous faire confiance et de foncer dans l’une des rares salles qui vont le jouer. Pour les plus sceptiques, ceux qui ont besoin de lire pour…, bref pour ceux qui justifient un tel papier, rentrons dans les détails du miracle.
A l’heure où les films ont une sérieuse tendance à se ressembler, où le cinéma indépendant US peut apparaître un brin trop prévisible, voilà que débarque une œuvre qui ne cesse d’expérimenter visuellement et thématiquement en s’en remettant à la confiance du spectateur.
Toute la radicalité et la puissance émotionnelle de A ghost story pourrait se résumer à cette séquence aussi fascinante que déroutante où le personnage incarné par Rooney Mara, dévasté par le décès accidentel de son compagnon, reste prostré sur le sol de la cuisine et se met à manger une tarte. Une scène qui par sa longueur interminable, permet de faire ressentir viscéralement au spectateur l’incommensurable tristesse de la perte de l’être aimé.
Extrême, la proposition de cinéma de Lowery l’est constamment. A l’image de son format carré devenu quasi obsolète au cinéma, de son héros revenu d’entre les morts sous la forme d’un fantôme vêtu d’un simple drap blanc et trous pour les yeux, A ghost story challenge l’attention de son public. Il y a de fortes chances que certains resteront au bord de la route. On leur dira de retenter l’expérience à un autre moment tant le film parvient à rendre magnifiquement intelligible tout ce qui tourne autour de la mort et du deuil presque impossible auquel doivent se résoudre ceux qui restent.
On se souvient que la série Six feet under avait su le faire avec brio notamment lors de ses deux derniers inoubliables épisodes. Mais là où David Lowery nous entraîne plus loin, c’est en ajoutant une dimension métaphysique à son récit. Dans A ghost story, ce sont aussi et surtout ceux qui sont partis qui cherchent à trouver un apaisement, un but à leur « nouvelle » existence. Et le film de Lowery de parvenir à vous arracher des torrents de larmes alors qu’à l’écran, deux draps sont en train de se regarder dans des maisons opposées tout en se posant la question existentielle de « et maintenant, on fait quoi ? ».
Portés par des acteurs phénoménaux (Rooney Mara nous terrasse avec sa tristesse infinie, Casey Affleck justifie mille fois son Oscar du meilleur acteur acquis pour Manchester by the sea, en faisant jouer littéralement un drap ??!!!), sublimé par des plans à la beauté vertigineuse (on pense à Tarkovski, c’est dire), et des idées complètement folles (le passage dans le passé), A ghost story laisse le spectateur groggy, déboussolé par cette expérience cinématographique unique. Chef d’œuvre, on vous dit !
Publié le 18/12/2017 par Laurent Pécha