Toute juste sortie d’interview, Debra nous rejoint avec le sourire et s’assied sur un sofa de soie rouge, au pied d’une statue grecque et d’immenses miroirs bordés d’épais rideaux. Installée dans ce décor au faste ostentatoire et au confort décadent, la réalisatrice nominée aux Oscars 2011 pour son film Winter’s bone nous emmène dans un tout autre environnement, aux antipodes du luxe et de l’oisiveté.
Son film Leave no trace (présenté en compétition au Festival de Deauville 2018) conte l’histoire de Tom (Thomasin McKenzie) et de son père (Ben Foster) ancien soldat souffrant de stress post traumatique. Vivant tous deux à l’abri du monde moderne au cœur de la forêt bordant Portland, leur campement est un jour découvert. Expulsé, ils se voient proposer un logement, un emploi, une scolarité. Alors que Tom découvre ce nouveau mode de vie avec joie et curiosité, son père ne parvient pas à s’intégrer. Le temps est-il venu pour Tom de choisir entre l’amour filial et ce monde qui l'appelle ?
La réalisatrice y dresse le portrait d’une Amérique invisible. Celle qui évolue entre ville et campagne, dans les plis et les creux de ses immenses territoires. On y rencontre des gens en quête d’une place dans le monde, d’un équilibre entre une société hostile et une nature aussi protectrice que dangereuse.
Fidèle aux thématiques qui traversent son cinéma (filiation, quête de liberté, place de l’homme face à la nature, drogue), Leave no Trace prend le pouls d’une société à la croisée des chemins. Évitant subtilement les écueils de la psychologie pour se concentrer sur la relation père/fille, le film rend compte du fossé que creusent les nouvelles générations avec celles qui les précèdent et se fait le relais de leurs espérances. Celles d’une vie où liberté ne rime plus avec solitude et où culture et nature s’harmonisent enfin.
Duo aussi antinomique que fusionnel, Ben Foster et Thomasin McKenzie traversent le film comme deux forces contraires, celles d’un feu au bord de l’extinction et d’un autre en éveil, prêt à tout irradier.
Tous vos films évoquent la filiation et comment les enfants doivent apprendre des erreurs de leurs parents.
C’est un peu l’histoire de l’humanité, non ? (sourire). C’est vrai qu’il y a quelque chose de fascinant pour moi d’observer comment les éléments qui nous entourent nous forgent et comment on peut réagir face à des choses que l’on rencontre au quotidien. C’est donc plus que les parents, c’est la communauté qui nous entoure et comment on est capable de se conformer ou non à ses attentes.
Vous semblez placer beaucoup d’espoirs dans la nouvelle génération. Pensez-vous qu’ils vont être capables de ne pas faire les mêmes erreurs que nous ?
Je pense qu’on est forcément obligé d’y croire et cela dure depuis des millénaires. C’est biologique de se reposer sur la future génération. Le jeune cerveau est celui qui va se poser des questions, qui va chercher à comprendre comment le monde tourne. C’est d’ailleurs le danger de toutes ces nouvelles technologies qui peuvent vite empêcher le jeune de penser par lui-même. La base du fascisme, c’est sa capacité à faire que les gens suivent sans se poser de question. S’interroger sur le monde, le remettre en question, c’est une nécessité vitale.
Vous portez un regard très dur sur la manière dont les vétérans sont traités à leur retour au pays
Will qu’interprète Ben Foster, est quelqu’un qui ne veut pas revenir à ce qu’il a connu avant la guerre. Il y a un film très poétique qui s’appelle Soldiers in hiding, que l’on trouve sur youtube, qui montre comment des soldats, après la guerre du Vietnam, n’ont pas voulu réintégrer la société dans laquelle ils étaient. Beaucoup de vétérans se demandent comment être honnêtes avec eux-mêmes. Ils cherchent vraiment à trouver un sens à leur vie. Et le plus souvent, cela ne peut pas correspondre à leur vie antérieure. Il y a vraiment un avant et un après.
Dans vos films, vous nous faites voyager dans des contrées très contrastées de l’Amérique. Dans quel endroit pourriez-vous nous entraîner sur un prochain film ?
Je suis très intéressée par les villes désindustrialisées où les gens tentent de garder une dignité tout en cherchant un boulot qui n’existe peut-être plus. Et ça, en continuant à penser que leur vie vaut la peine d’être vécue. Je trouve ça essentiel. J’espère bien que cela sera le sujet de mon prochain film. On a trop tendance à oublier dans tous ces mouvements migratoires à quel point tout le monde a besoin d’avoir un travail et à quel point cela peut être dur de se retrouver dans un endroit où il ne se passe plus rien.
Remerciements à Laurence Granec et Vanessa Fröchen
Publié le 19/09/2018 par Alexandre Simard