Comment se prépare-t-on pour un rôle aussi physique ?
Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour me préparer physiquement. On m’a appelée vendredi et dimanche, j’étais dans l’avion pour Paris pour tourner. Je me suis donc posée des questions concernant le personnage. Pourquoi agit-elle comme elle le fait ? La première chose à laquelle j’ai pensé a été une biographie de Marilyn Monroe, où l’on comprend qu’elle cherchait à être la meilleure version d’elle-même pour impressionner les autres, parce qu’elle manquait d’amour et d’affection. C’était sa façon de se sentir importante, et j’ai pensé que c’était la même chose pour Jen. Elle ne veut pas aller au lit avec les trois mecs mais elle veut être belle et importante. Je ne suis pas comme elle personnellement.
L’autre réflexion que j’ai eu concerne plus la manière dont elle allait se déplacer, se mouvoir. J’ai commencé à penser à une panthère, qui utilise tous ses sens pour chasser et ne pas se laisser découvrir.
Comment avez-vous réagi lorsque Coralie Fargeat, la réalisatrice, vous dit que vous n’auriez pas le rôle ?
Même si elle ne m’a pas prise au début, elle m’a effectivement appelée pour me remercier pour ce que j’avais fait. Je savais qu’elle me respectait en tant qu’actrice. J’ai tourné plusieurs scènes donc je sentais qu’elle était intéressée. Elle m’a appelé pour me dire qu’elle allait prendre quelqu’un d’autre pour mon rôle, ça arrive tout le temps mais la plupart du temps les gens disparaissent, ils ne vous appellent pas pour vous tenir au courant. J’ai vraiment respecté qu’elle m’ait appelé pour me dire merci mais non. Le fait qu’elle m’ait rappelée plus tard, alors qu’elle a vu énormément d’actrices partout dans le monde, signifie que j’ai dû la marquer d’une certaine manière. Cela a tout de suite collé entre nous. J’ai eu l’impression d’être face à une amie que je connaissais depuis des années. Et sur le tournage, c’est la première fois que j’étais aussi en confiance.
C’est la première fois qu’une femme vous dirige au cinéma ?
Oui. Et peut-être que cela a joué dans la confiance que j’avais. Dans le film, je suis toujours en bikini donc avec une réalisatrice, c’était plus simple, je ne me suis pas sentie comme un objet. Le tournage a eu lieu au Maroc, la moitié de l’équipe de tournage est marocaine, et la culture est différente, donc la première semaine je me suis sentie observée. Je crois que j’avais des préjugés, surtout sachant que c’était au Maroc. Le moment où j’ai arrêté d’y penser, cela a été le déclic.
Le film arrive à une époque charnière avec les débats autour du corps de la femme et les scandales à Hollywood.
Bien évidemment, vu que le film a été tourné en amont, il n’a pas été pensé en réponse au mouvement me too ou à l’affaire Weinstein. Mais je suis sûre que lorsque Coralie l’a écrit, elle a pensé à toute la violence, qui ne concerne pas que les femmes. Dans le film, il y a trois types de violences: quand le mec regarde, il ne fait rien de mal en soit, mais en regardant et en ne faisant rien, c’est comme être complice. Je sens que pour Weinstein c’était la même chose. Tellement de gens le savaient, les agents conseillaient aux filles abusées de ne rien dire,… C’est le type de violence qui n’est pas physique, et je pense que le film couvre la violence sous ces divers aspects.
Par contre je pense que parfois ça va trop loin comme pour Woody Allen, une affaire qui devrait restée privée je pense.
Avez-vous des modèles comme actrices ? Dans la deuxième partie du film, vous faîtes énormément penser à Jessica Alba.
Oui, on me le dit souvent. A Jane Fonda quand elle était jeune parfois. Je n’ai pas d’actrice auquel je m’identifie. Ce sont avant tout des rôles qui m’interpellent. Et je fais attention à cela car parfois il est difficile de sortir d’un personnage devenu trop célèbre ou iconique. Même si de plus en plus, on a des exemples qui prouvent le contraire. Je pense par exemple à Michelle Williams qui vient de la série Dawson et qui est devenue l’une des plus grandes comédiennes de notre époque, souvent nominée aux Oscars. Ou encore du côté des hommes, Daniel Radcliffe qui, par ses choix singuliers, parvient petit à petit à faire oublier qu’il a été Harry Potter.
Par votre présence constante à l’écran, l’intensité du récit, le mélange performance d’actrice et physique, Jen, c’est un peu le rôle d’une vie ?
C’est la première fois que je me vois dans un film et que je n’ai pas du tout l’impression que c’est moi à l’écran. Je suis si différente dans la vie. Résultat, c’est génial car je vois le film comme un spectateur lambda.
Le scénario peut être considéré comme basique. Comment avez-vous perçu le résultat final par rapport à ce que vous aviez lu au départ ?
Quand j’ai lu le script c’était traduit du français en anglais et je ne pouvais pas percevoir forcément toutes les subtilités. Mais, j’avais notamment vu le court-métrage de Coralie que j’ai trouvé incroyable. C’était un tout petit budget mais elle m’avait impressionnée par sa capacité à transcender cela. Effectivement, le tournage s’annonçait compliquer et il l’a été. Même plus que prévu. J’ai voulu « tuer » Coralie par moments, des choses grotesques, mais en même temps je sentais que le film était spécial. Puis j’ai vu le montage, ce son, ces couleurs. Je n’ai jamais pensé que cela pourrait ressembler à ça. J’ai été très surpris. Il faut dire que sur un tournage, je ne regarde jamais les rushs, je préfère toujours suivre les conseils des réalisateurs.
Le tournage a beau avoir été très tendu, on juge le résultat final. Et justement, la réussite artistique permet-elle de faire oublier ce qui a pu se passer de dur sur le tournage ?
Je ne pense pas que vous oubliez, c’était dur ! J’ai aimé tout le processus, le lieu de tournage était magnifique. J’ai appris beaucoup de choses sur le pays, la nourriture, les gens. Et toute l’équipe a été adorable avec moi. Toujours souriants, même très tôt le matin, toujours à disposition. Je suis sûre qu’ils ne l’ont pas fait pour l’argent étant donné notre petit budget mais avant tout parce que ce sont tous de grands professionnels. Évidemment eu égard aux conditions de tournage (17 heures par jour en bikini), ce fut loin d’être une partie de plaisir. Et plus d’une fois, j’ai pleuré et j’étais constamment fatiguée. Mais quand on voit le résultat, on se rend compte à quel point cela valait le coup. Je suis si contente du film.
Publié le 07/02/2018