A l’époque de The Secret, vous aviez dit que vous ne vouliez absolument pas faire Martyrs 2 alors que tout le monde vous le demandait. Avec Ghostland, on a l’impression que vous avez retrouvé une partie de l’esprit de Martyrs tout en gardant une mise en images et une narration plus proche de The Secret.
Moi, je ne peux pas raisonner comme ça. Si je commence à avoir ce regard analytique sur mon travail, je suis foutu. J’ai par contre l’impression de partir à chaque fois de mêmes émotions intimes, de mêmes sentiments mélancoliques. Je pense que l’horreur est le genre le plus mélancolique qui soit. Je fais sûrement des films d’horreur pour retrouver des souvenirs liés à l’enfance. C’est sans doute pour cela que l’on peut trouver des éléments communs à mes films.
Avec Ghostland, j’ai l’impression que c’est la première fois que je faisais à ce point sur l’imaginaire, un film qui interroge le fait de savoir si c’est bien de fuir par l’imaginaire, à partir de quel moment il faut revenir dans le réel. Et c’est la première fois que je parle de la vocation qui était la mienne à 14 ans à travers cette gamine de 14 ans qui a cette vocation pour la littérature et qui se construit par rapport à des héros qu’elle veut égaler, en l’occurrence Lovecraft. Un peu comme moi qui me suis construit avec des gens comme Prince, Dario Argento ou encore John Carpenter.
On a d’ailleurs l’impression que Ghostland a tout du premier film, celui où le réalisateur parle généralement le plus de lui.
Ah mais je n’avais pas la maturité pour le faire à l’époque. Mais, c’est vrai que je suis parti de choses très personnelles : j’ai un frère aîné qui est quelqu’un de plus terrien que moi, qui ne comprenait pas le culte que je pouvais entretenir pour certains artistiques, il pensait que cela risquait de limiter le développement de ma propre personnalité. Et je lui répondais que justement je n’avais pas de personnalité, que la seule chose qui m’intéresse c’est admiré et d’aller vers ce que j’aime. A force de faire ça, on finit par créer son propre truc. Comme Beth dans le film qui fait du sous Lovecraft au début pour finir par trouver son propre style à la fin. Comme moi quand je faisais du sous Argento en super 8 dans le jardin de mon père et que désormais j’ai peut-être trouvé ma voie.
En parlant de voie, avec la polémique qui vient de naître autour de votre comédienne qui porte plainte contre la production après avoir vu son visage défiguré à la suite d’une cascade et le fait que vos films mettent souvent en scène des femmes qui se font maltraiter physiquement, il n’y a pas un risque de stigmatiser votre cinéma, une sorte d’amalgame.
Le souci vient de cette pensée rapide qui n’est même plus de la pensée. C’est juste de la réaction. Pour un artiste, c’est terrifiant. C’est une horreur très contemporaine que je veux absolument fuir. C’est pour ça que je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je fréquente très peu internet.
Ce n’est pas un hasard si mon héroïne n’a pas de téléphone portable, pas d’ordinateur portable, qu’elle veut taper à la machine. Tout comme chez Mylène Farmer, sa fascination pour les univers macabres et le 19ème siècle ne sont pas du tout une posture. C’est une obsession qu’elle poursuit depuis des années. Quand on va chez elle, c’est cet univers que l’on retrouve.
Pour revenir à l’affaire concernant Taylor Hickson, il n’y a aucune polémique. J’ai découvert l’affaire comme vous tous il y a quelques jours. J’ai lu sur internet que les avocats de Taylor portaient plainte contre la production du film, que ma responsabilité de metteur en scène n’était pas engagée. Il y a une procédure qui a démarré, il va y avoir un procès entre les deux parties et je suis donc évidemment tenu à un devoir de réserve. Ce qui m’a scandalisé depuis quelques jours, c’est le niveau de cynisme de certains, inconnus ou même journalistes, qui sous-entendaient que c’était peut-être un buzz fait par Taylor sur le dos du film ou encore d’autres qui imaginaient que c’était un buzz totalement cynique des producteurs pour faire parler du film juste avant sa sortie en salles. Et là je me suis dit qu’il fallait être incroyablement cynique pour penser que nous étions cyniques. A l’image de ceux qui ont commenté l’affiche du film en imaginant que c’était un trait d’ironie que nous avions fait par rapport à ce qui s’est passé sur le plateau. Je trouve que certains mériteraient de s’étouffer de leur propre cynisme.
La seule chose que j’ai à dire aujourd’hui c’est que je soutiens inconditionnellement Taylor Hickson. C’est ma sœur, elle m’a apporté énormément de choses sur ce film. C’est une comédienne exceptionnelle et je n’ai absolument pas à émettre le moindre jugement sur sa décision. Par contre, je ne supporte pas qu’elle soit soumise à la vindicte populaire. C’est une très jeune femme, il faut la respecter. Elle a mon amitié la plus indéfectible.
Le souci, comme à l’époque avec Martyrs et son interdiction aux moins de 18 ans, on a plus tendance à parler de cette affaire que du film.
Je ne viens pas de ce temps. Je suis un enfant du 20ème siècle. J’ai passé plus d’années sans internet et sans téléphone portable qu’avec. Je ne peux pas m’adapter à ce monde-là. C’est peut-être pour cela que c’est plus facile de vieillir puis de mourir tellement à un moment donné, on n’est plus connecté avec le monde dans lequel on évolue.
Vous êtes un cinéaste rare. Seulement 4 films en presque 15 ans. C’est un choix ?
Pas du tout. Je serai un réalisateur et un homme totalement heureux si je pouvais tourner un film tous les 2-3 ans. Je ne tombe pas amoureux d’une histoire tous les deux mois mais ce qui est vraiment pénible, c’est de ne pas arriver à trouver mon système de production pérenne qui me permettrait d’avoir un ou deux coups d’avance. Cela me donnerait la possibilité de tourner plus vite. Avec le cinéma d’horreur en France, le gros souci, c’est que chaque film ne peut être qu’un prototype en termes de montage financier. Il n’y a pas de système industriel pour enclencher le suivant sur un modèle préétabli. Il faut à chaque fois faire des montages de co-productions qui ne sont jamais faciles à faire et souvent fragiles. Pour ma part, c’est une alliance entre la France et l’Amérique du nord avec cette obligation de tourner en langue française. Je préfère faire ça que de ne pas tourner, mais je me suis toujours revendiqué comme un cinéaste français. Quand je vais à Hollywood, je vois bien qu’ils sont intrigués par mes films, ils les aiment bien mais ils ne les sortent jamais sur 2000 ou 3000 écrans. J’ai reçu un message très gentil des équipes de Jason Blum (le producteur phare des films d’horreur aux USA qui a sorti les Paranormal activity, Insidious, Get out,…) à qui mes producteurs auraient espéré vendre le film pour une très grosse sortie nationale américaine. Et le message disait : « c’est un film d’horreur extraordinaire, Pascal » et après il m’a expliqué pourquoi il ne le prendrait jamais : parce que la vision du film et sa violence dépassaient le cadre du pur entertainment. J’ai eu envie de lui répondre : « j’espère bien ». Un peu par orgueil (rire). Je devrais faire encadrer cette phrase (rire).
C’est sûr que si on compare tes jump scares par rapport à ceux de sa saga Insidious.
Je suis très critiqué sur mes jump scares. C’est la première fois que j’utilise ce langage. Je préfère d’ailleurs la manière dont Carpenter les nommait à l’époque : des tours de passe-passe. Il y en a dans tous les grands classiques de l’histoire du cinéma. Y en a dans Shining,… On est toujours très content de les retrouver. Après, on peut trouver qu’il y en a trop dans mon film. Je sais comment et pourquoi je les ai mis en scène. À chaque fois c’est quand le réel se rappelle à Beth, quand le réel veut rentrer dans sa rêverie. Tous mes jump scares sont comme ça dans le film. C’est une véritable grammaire !
Vous prenez un sacré risque dans votre film avec sa multitude de rebondissements qui demande une belle confiance du spectateur, notamment dans cet incessant mélange entre réalité et rêves.
Cela fait partie des archétypes. J’adore partir de cela. C’est comme la maison de poupée, le camion à bonbons, on a déjà vu ça 150 000 fois. Mais j’adore ça. Si j’étais un metteur en scène de westerns, je me taperais le duel au pistolet, le shérif alcoolique qui va trouver la rédemption. Je ne les éviterais pas. J’adore faire de l’horreur car j’y retrouve l’imagerie de mon enfance. La baraque de foire me renvoie aux origines foraines du cinéma. Comme Mylène Farmer, j’aime les imageries. C’est pour ça que j’adore son travail et c’est tout sauf un hasard si on s’est retrouvé sur le film. C’était une évidence ! Mais attention, j’adore jouer avec tout ça mais seulement si je parviens à le transformer pour en faire quelque chose de personnel. Je me dis toujours que si je prends un cliché et que je le tourne à ma sauce, peut-être cela permettra de revitaliser le cliché. Je suis persuadé que toute l’histoire du cinéma de genre peut se résumer ainsi.
L’incroyable et insoutenable séquence de la poupée illustre bien vos propos.
On savait sur le tournage que l’on aurait près de 25 minutes de film sans aucun dialogue. Et c’est une des grandes raisons qui m’ont poussé à faire le film : voir si avec ma grammaire visuelle, j’étais capable de tenir autant de temps en respectant des enjeux dramatiques très clairs, si on comprenait bien le rituel de l’ogre, pourquoi il fait ça. Ce fut de loin la scène la plus difficile à faire. Sur le plateau, on s’amusait à dire que c’était le moment où le film basculait dans l’horreur cosmique.
Ce que je ressens dans les films d’horreur que je préfère, récemment, The Lords of Salem, It follows ou encore Bone Tomahawk, c’est cette capacité à un moment d’avoir l’impression de rentrer dans le cerveau de quelqu’un, d’avoir la sensation que le sol se dérobe sous mes pieds et d’être pris d’un saisissement, une sorte de stupéfaction au point de se demander ce que je suis en train de regarder et si je dois continuer à le faire. Avec mes films, j’essaie de parvenir à faire partager la même sensation aux spectateurs. Et je comprends et accepte complètement que le spectateur puisse se lever et quitter la salle.
Le cinéma d’horreur laisse d’ailleurs souvent le spectateur indifférent. C’est devenu plus un objet de consommation presque courante où l’on entre dans la salle pour avoir quelques frayeurs tout en mangeant du pop-corn.
Il y a effectivement un nombre incalculable de films où l’on sort de la salle comme on y est entré. Et ce quelque soit la débauche d’argent et d’effets spéciaux. Je vais faire mon vieux con mais j’appartiens à une génération qui a vu à 12-13 ans Orange mécanique, Taxi driver, La Horde sauvage. Ce n’était pas des films faits pour nous car à l’époque il n’y avait pas de films faits pour les ados. Il n’y avait pas Twilight, Hunger games,…On n’était pas considéré comme un segment de marché. On passait directement des Disney ou Superman de Richard Donner à La Horde sauvage. Cette expérience du mal, on la faisait très tôt. Elle nous vaccinait et nous promettait qu’on était en train de devenir des hommes. Depuis, l’industrie a compris qu’il y avait une part énorme à prendre avec les ados. Quand je suis sorti de Taxi driver à l’époque, je ne savais pas quoi en penser. J’avais adoré en tant que plaisir sensoriel mais c’était un film qui m’interrogeait constamment. C’était malsain, je ne savais pas si j’avais envie d’être Travis Bickle (De Niro), si il fallait l’être ou pas.
On ressent la même chose à la sortie de Ghostland, ne pas savoir totalement si on a le droit d’aimer complètement le film. On a besoin d’une autre vision.
(Éclat de rire). Oui, il faut le revoir ! C’est un film qui montre le passage d’une jeune fille du statut de fan au statut d’artiste. J’ai voulu faire un film qui permettrait à certains de voir les sous-couches de lecture tout en laissant à ceux qui veulent juste se payer une bonne tranche de ride cinématographique la possibilité de le faire.
Dans The Secret, vous rendiez hommage à Stephen King, dans Ghostland, vous citez Lovecraft et vous le faites même apparaître dans l’intrigue. Pourtant, le film n’est pas du tout lovecraftien. C’est pour le prochain ?
J’adorerais pouvoir le faire. Regarde pourtant ce génie de Del Toro qui n’arrive pas depuis des années à adapter Les Montagnes hallucinées. Parce que comme Clive Barker, Lovecraft, c’est trop horreur et trop cher. C’est à la fois trop épique et trop fondamentalement méchant.
Mais effectivement, c’est mon rêve de pouvoir faire un film lovecraftien ou barkerien. Je rêve toujours de faire Hellraiser (le réalisateur a été longtemps attaché au projet du remake). Ils continuent à en produire des suites pour ne pas perdre les droits. J’ai vu le dernier en date, c’est consternant. Il y a un problème de combinaison des chiffres entre ce que sont les écrits de Barker, de l’horreur gay extrême cuir ultra hardcore et le fait que cela soit très cher à faire. Si on adapte fidèlement du Clive Barker, ça coûte au moins 50 millions de dollars.
Tous vos films mettent en scène des personnages féminins. Pourquoi n’arrivez-vous pas à écrire des rôles masculins forts ?
Il faudrait que j’arrive enfin à me confronter à cette lâcheté de ne pas oser écrire des rôles masculins au prétexte que cela m’intéresse moins, au prétexte que je me vois moins passer du temps sur le plateau avec un barbu, avec un mec qui me ressemble plutôt qu’une très belle femme. Je peux sortir des banalités comme le fait que c’est une façon pour moi d’approcher de cette altérité qu’est la femme, essayer de comprendre un peu mieux son énigme. En plus, plus tu t’approches et moins tu comprends. Quand j’écris, je projette ma part féminine. Il faudrait sans doute que je trouve enfin ce coscénariste que je cherche depuis des années. Je ne me sens pas scénariste dans l’âme. J’écris mes films par défaut. Je ne me sens pas scénariste. Je me sens bien en place sur le plateau ou devant ma table de montage. L’écriture est un moment extrêmement pénible pour moi. Je ne me sens pas à la hauteur. J’ai l’impression d’être un bon élève de rédaction. C’est sans doute pour ça qu’il y a des choses qui reviennent dans mes films, mes capacités sont limitées. Mais si j’arrive à progresser à l’intérieur de mes limites, c’est déjà quelque chose (rire).
L’ambition à court terme d’e-cinema.com, c’est de produire ses propres films. En tant que cinéaste, serais-tu intéressé par un processus de production qui condamne le film à ne pas pouvoir passer (au moins en première exclusivité) en salle ?
En échange d’une liberté artistique totale. Je signe tout de suite ! On voit bien que les plus grands cinéastes sont en train de faire la bascule. En tant qu’enfant des salles, ce sera forcément un petit choc esthétique auquel je m’habituerais très vite surtout si je peux enchaîner les films. Il ne faut pas me souhaiter d’attendre encore 5 ou 6 ans. J’ai encore du mal à gagner ma vie. Avant Ghostland, j’ai passé deux ans sur un film qui ne s’est pas fait et j’étais arrivé au bout de mes économies. J’ai aussi écrit avec cette espèce de fièvre où je devais payer mon loyer. C’est une raison très saine d’ailleurs. Je n’ai pas les moyens que trop de films ne se fassent pas. On commence quand ? (éclat de rire).
Remerciements à Delphine Olivier.
Publié le 16/03/2018 par Laurent Pécha