Le 11 octobre 2017, la réalisatrice, Kathryn Bigelow a sorti son 10ème film, Detroit (lire la critique). Seulement 10 longs-métrages en 36 ans de carrière ! Détentrice du seul Oscar qu’ait jamais reçu une femme pour son travail en tant que metteur en scène, Bigelow prend donc son temps. Elle choisit méticuleusement ses projets au point de ne pas avoir accéléré sa production alors même que l’Oscar en poche aurait pu lui ouvrir plus facilement certaines portes (seulement deux films en 9 ans). Très à l’aise dans l’action, la cinéaste avait de quoi largement faire les beaux jours d’une production Marvel ou autres sagas à succès (James Bond,…).
A l’instar de Detroit qui évoque les émeutes meurtrières ayant eu lieu en 1967, Kathryn Bigelow a depuis Démineurs choisi de s’orienter vers une carrière lui permettant de traiter de sujets d’actualité forts, délaissant un cinéma plus grand public qui avait marqué sa décennie la plus prolifique.
Il y a clairement trois étapes dans sa carrière : la révélation avec Aux frontières de l’aube (même s’il ne s’agit pas de son premier film contrairement à ce que beaucoup pensent). La montée en puissance dans l’univers du blockbuster spectaculaire où elle impose une patte indéniable dans l’action avec la triplette Blue steel, Point break et Strange days. Le cruel échec de ce dernier (moins de 8 millions de recettes aux USA pour un budget dépassant les 40 millions) laissa la réalisatrice chercher durant une grande partie des années 2000 un nouvel élan à sa carrière qu’elle trouva avec la réussite incroyable de Démineurs qui, à la surprise générale, remporta l’Oscar du meilleur film au nez et à la barbe d’Avatar signé par son ancien compagnon, James Cameron.
Démineurs (2008)
Le film qui a tout changé pour Kathryn Bigelow. A la surprise générale, Démineurs a triomphé aux Oscars 2010. Non seulement, il a remporté la statuette suprême du meilleur film, mais il a surtout permis à Bigelow d’être la première femme récompensée comme meilleur réalisatrice. Film de guerre traité en mode thriller avec d’incroyables séquences de suspense au moment où les soldats américains doivent désamorcer les engins explosifs, Démineurs est un des grands films sur le conflit irakien.
Le long-métrage est même peut-être ce qui se fait de « mieux » pour montrer à quel point la guerre peut devenir une drogue détruisant de l’intérieur ceux qui la font ou sont obligés de la faire. Preuve de sa grandeur, le film n’a cessé de se bonifier au fil des années et peut désormais se ranger fièrement aux côtés de ses prestigieux devanciers ayant eu en toile de fond la guerre du Vietnam (Apocalypse now, Voyage au bout de l’enfer, Platoon, Full metal jacket).
Point break (1991)
La montée en puissance de Bigelow se concrétise aux débuts des années 90 avec l’un des meilleurs films d’action contemporains. Point break a eu une telle influence sur le cinéma d’action US des décennies suivantes qu’on ne compte plus ceux qui l’ont imité, pompé voire tout simplement remaké (l’atroce Point break de 2015). Le plus célèbre des copieurs n’étant rien moins que le premier film de la saga des Fast & furious avec son intrigue toute juste déplacée du monde des surfeurs à celui du tuning.
Produit par son mari de l’époque (James Cameron), porté par un duo absolument parfait dans leur rôle respectif (Keanu « Johnny Utah » Reeves et Patrick «Bodhi » Swayze), doté de séquences d’action aussi variées qu’impressionnantes (mention spéciale à la course-poursuite à travers les maisons à jamais égalée), Point break a gagné haut la main son statut de classique du genre.
Aux frontières de l’aube (1987)
La naissance cinématographique de Kathryn Bigelow même s’il s’agit de son deuxième film. Une claque dont certains ne se sont jamais remis. Une relecture du film de vampires à la sauce western d’une efficacité redoutable. Poétique et violent à souhait (l’incroyable séquence du massacre du bar), Aux frontières de l’aube donna un nouvel élan au mythe du suceur de sang. Qu’importe son échec commercial, il gagna très vite un statut de film culte et a toujours eu ses fervents supporters. Pour certains même, Bigelow n’a jamais fait mieux !
Zero dark thirty (2012)
On a souvent (à juste titre ?) qualifié Bigelow de cinéaste faisant des films de mecs. Avec Zero dark thirty, la réalisatrice n’abandonne pas un créneau où la testostérone règne en maître mais réussit pourtant à signer un étonnant grand film féministe. Par le prisme de sa formidable héroïne campée magistralement par Jessica Chastain (injustement privée de l’Oscar de la meilleure actrice cette année-là par Jennifer Lawrence), Bigelow fait de cette quête obstinée pour trouver et éliminer Ben Laden une ode à la toute-puissance de la femme.
Rigoureux de bout en bout dans son approche documentaire, offrant une dernière demi-heure bourrée de suspense alors que l’on connaît tous le dénouement, Zero dark thirty a semble-t-il été un poil oublié après avoir reçu un bel accueil à l’époque de sa sortie. Il est important de rappeler que c’est un des tous meilleurs films américains produits depuis 10 ans.
Strange days (1995)
Ils ont beau être séparés dans la vie, le duo Bigelow-Cameron se reforme en 1995 pour nous apporter Strange days. Big Jim au scénario, Kathryn à la mise en scène. En résulte une œuvre de SF à l’ambition démesurée qui, certes, n’atteint pas tous ses objectifs mais offre un spectacle visuel mémorable. L’énorme bide du film (moins de 8 millions de recettes aux USA pour un budget dépassant les 40 millions) paraît totalement injuste. Encore plus aujourd’hui à une époque où les blockbusters de SF vraiment originaux se font plus que rares.
A l’heure où le cinéma cherche sans cesse à s’inspirer du jeu vidéo, Bigelow avait déjà précédé tout le monde à l’instar de son plan séquence virtuose qui ouvre le film. Revoir Strange days, c’est se rendre compte du côté prophétique de l’œuvre et d’y comprendre un peu mieux son échec commercial.
K-19 le piège des profondeurs (2002)
Le début du millénaire n’est pas une franche réussite artistique ou/et commerciale pour Bigelow. La cinéaste se cherche et a visiblement bien du mal à se remettre du désaveu public rencontré par Strange days. Après un « petit » film (Le Poids de l’eau), elle retourne au film de studio et un budget conséquent (90 millions de dollars) avec ce K-19, le piège des profondeurs.
Pas encore maîtresse de son sujet, elle doit composer avec un scénario bancal qui accumule les poncifs dans une première et longue partie, nous faire accepter qu’un commandant russe est joué par Indiana Jones sans oublier l’inévitable comparaison avec quelques formidables films de sous-marin (Le Bateau, A la poursuite d’Octobre rouge,…). Une mission quasi impossible à relever pour une réalisatrice loin de sa toute-puissance créatrice et décisionnaire mais une mission qu’elle mène à (presque) bon port grâce à un domaine où elle excelle : la virtuosité technique quand il s’agit de filmer l’action et créer un suspense de toutes pièces par la seule force de sa caméra.
The Loveless (1981)
Voilà donc le premier film de la cinéaste. Un film totalement méconnu au point que beaucoup continuent à penser qu’elle a débuté sa carrière avec Aux frontières de l’aube. Le monsieur qui a dû voir le film, c’est bien son ex-mari, James Cameron si on en juge par le copier-coller entre le look de Willem Dafoe dans The Loveless et Schwarzy dans Terminator 2.
Etrange, loin de ce que Bigelow réalisera par la suite, The loveless est une véritable curiosité presque fétichiste avec son univers codifié de bikers. Et l’occasion d’admirer dans son premier rôle une figure phare du cinéma US des 80’s et 90’s : Willem Dafoe.
Le Poids de l’eau (2000)
A l’image de son récit qui nous entraîne à deux époques différentes, on se rend vite compte que Kathryn Bigelow est prise entre deux allants artistiques. D’un côté tourner la page d’une décennie d’action qui la laissait sur un échec amer et de l’autre montrer qu’elle est capable de quelque chose de plus intimiste. En résulte une œuvre incroyablement bancale, la plus faible et de loin de son auteur, où l’on peut louer les intentions, mais jamais saluer le résultat terriblement frustrant voire parfois embarrassant.
Blue steel (1990)
Amusant de constater que la première véritable incursion de Bigelow dans un cinéma de mecs se fait par le prisme d’une femme. Une héroïne toutefois bien loin des archétypes du genre avec son rapport fétichiste, presque sexuel qu’elle a avec son arme de service (Blue steel faisant notamment référence au bleu acier des flingues).
Avec son méchant tout aussi « borderline » qui entretient avec Jaimie Lee Curtis une relation pour le moins ambiguë, Blue steel sort largement du lot du polar classique et passe partout que l’on pouvait voir à cette époque. C’est loin d’être une réussite totale (la fin étant notamment ultra décevante) mais la mise en scène ultra ambitieuse de la dame est déjà bien là offrant quelques grands moments d’action.
Le filmo-guide de Jonathan Demme
Publié le 12/10/2017 par Laurent Pécha