Réalisateur de Martyrs, The Secret et plus récemment cette année de l’excellent Ghostland, Pascal Laugier est un amoureux fou de cinéma. Un amoureux avec des convictions tranchées qu’il partage ici avec une liste de films méticuleusement choisis.
LES DIABLES de Ken Russell
Parce qu’il est grand temps de sortir Ken Russell de l’oubli teinté de mépris dans lequel son œuvre est plongée depuis des années. Parce que Les Diables est le film sidérant d’un cinéaste sidérant auquel les thuriféraires de la Nouvelle Vague n’ont jamais RIEN compris.
DÉLIVRANCE de John Boorman
Parce qu’il prouve qu’Hollywood a bel et bien su produire des films de « divertissement populaires » conçus par de vrais auteurs non serviles, qui s’adressaient aussi à la partie du public qui avait plus de quinze ans.
DUEL de Steven Spielberg
Pour moi qui ne suis pas « Spielbergien », son film le plus simple, le plus pur, le plus beau.
L’EXORCISTE de William Friedkin
Matrice insurpassable de mon obsession pour l’horreur, une énigme qui me hante et que je n’arrive pas à résoudre.
PHANTOM OF THE PARADISE de Brian de Palma
Parce que j’en aime absolument chaque scène, que chaque minute de ce film fou est une sorte de « coït » n’altérant en rien la cohérence prodigieuse de l’ensemble.
BARRY LYNDON de Stanley Kubrick
Pour moi, le plus beau « film en costumes » de toute l’histoire du cinéma. Rappelons l’échec cuisant du film à sa sortie. On ne le dit jamais assez : le public, dans ses rejets et ses engouements immédiats, a très souvent tort.
LES FRISSONS DE L’ANGOISSE de Dario Argento
Parce que c’est un film inouï, parce qu’avant de le voir je ne savais pas que le cinéma pouvait ressembler à ça.
LE CERCLE INFERNAL de Richard Loncraine
Ce film fragile et oublié a cristallisé mon rapport mélancolique au fantastique et à l’horreur, les deux genres mêmes de la mélancolie.
MAD MAX de George Miller
Film interdit sous Giscard, les gens de ma génération ont tellement attendu pour le voir... Puis on l’a vu, et c’était encore plus puissant, encore plus fort, encore plus jouissif que dans tous nos fantasmes.
CRUISING de William Friedkin
Encore un Friedkin, encore un choc sismique qui m’a retourné le cerveau... En supposant qu’il trouve les sous pour le faire, le mec qui sort un film comme ça aujourd’hui est socialement et professionnellement « MORT ».
POSSESSION d’Andrzej Zulawski
Zulawski détestait qu’on traite son film de « film d’horreur ». Il avait tort, il était un peu snob, Zulawski. Possession est bel et bien un film d’horreur. Et l’un des plus beaux.
THE THING de John Carpenter
Après un tournage infernal, Carpenter finit sur les rotules et Rob Bottin, concepteur des effets spéciaux, à l’hôpital pour cause de surmenage. Le film est un échec critique et public sans appel. La presse parle « d’hommage caoutchouteux aux nanars de monstres des années 50 »... 35 ans plus tard, le même Rob Bottin, rien de moins que le plus grand « creature designer » de l’histoire du cinéma, a tout laissé tomber et est devenu agent immobilier. Il refuse toute interview. Les fâcheux auront eu sa peau.
L’ANNÉE DE TOUS LES DANGERS de Peter Weir
Pour la beauté de Sigourney Weaver contrastant avec la laideur de Linda Hunt qui, interprétant un homme, regarde la photo d’un être encore plus laid et difforme qu’elle et dit, je cite de mémoire : « c’est un esprit supérieur mais son corps est une farce. »
VIDEODROME de David Cronenberg
Quand un brillant intello de Toronto croit assez à la valeur d’un genre populaire - l’horreur - genre qu’il ne prend jamais de haut, mais nourrit de visions, d’intuitions toutes plus infilmables les unes que les autres qu’il filme quand même, ça donne... Videodrome. Je ne sais toujours pas comment on peut atteindre une telle perfection à partir d’un projet aussi dingue.
LA COMPAGNIE DES LOUPS de Neil Jordan
C’est très personnel, en rapport avec un souvenir intime, j’avais quatorze ans, une fille qui ne m’aimait pas... Mais ce film-là aussi a changé ma vie.
LE JOUR DES MORTS-VIVANTS de George Romero
Je me souviens qu’à l’époque tout le monde avait été très déçu par ce qui était alors l’ultime chapitre de la « Trilogie des Morts ». Ce mauvais accueil m’avait stupéfié, laissé dans un état d’incompréhension totale. Je m’étais pris le film dans la gueule et c’est toujours le cas aujourd’hui.
BLUE VELVET de David Lynch
De loin mon Lynch favori, quintessence absolue de son inspiration, de son travail méticuleux sur une forme exclusive, la sienne.
HELLRAISER de Clive Barker
Je n’avais rien lu de Barker avant de voir son premier film de cinéaste. Ce que j’ai vu n’était donc pas simplement un film, c’était l’apparition d’un MONDE tout entier... Ça m’a laissé pantois, neurones fouettés, je devenais Barkerien.
CALME BLANC de Philip Noyce
Émotion que je n’attendais pas d’un « simple » thriller du samedi soir : Sujet constamment transcendé par la mise-en-scène, beauté translucide de Kidman, musique électronique de Graeme Revell avec ses samples gutturaux de voix humaines qui se noient. À l’époque, on croyait assister à la naissance d’un grand cinéaste... On ne savait pas encore que le vrai auteur du film était... George Miller.
KING OF NEW YORK d’Abel Ferrara
Ferrara a énormément compté pour moi et je tiens ce film-là pour son chef-d’œuvre. Avec, accessoirement, l’un des plus beau « regard-caméra » de l’histoire du cinéma.
MILLER’S CROSSING des frères Coen
Je ne marche pas à tous leurs films et à leur intelligence, brillante mais qui « se voit »... Celui-là, derrière lequel ils « s’effacent », me parait l’un des très grands films de gangsters de ces trente dernières années.
LES NERFS À VIF de Martin Scorsese
Le grand film mésestimé d’un cinéaste que tout le monde vénère. Scorsese décidant de faire un « pur film de genre », les fâcheux trouvent le style trop voyant, arguant que le tout est anecdotique et manque de profondeur. Ils n’en ratent jamais une, les fâcheux. Les mêmes qui nous diront quelques années plus tard que The Aviator ou Les Infiltrés sont des bons films.
À TOUTE ÉPREUVE de John Woo
Un cinéaste majeur qui se glisse comme un chat dans les archétypes et les scènes « à faire »... Pour tout dynamiter, pour tout réinventer.
SERIAL MOM de John Waters
La comédie, putain, je me méfie... Quand je sens qu’un truc est mis en place pour faire marrer les gens, ça provoque chez moi l’effet inverse. C’est lié à un truc de société. La comédie, comme la comédie musicale, comme les comiques sur scène, sont presque toujours du côté de la masse, du consensus, de l’air du temps, ils célèbrent le contemporain en faisant semblant de le contester (gentiment). Et ça me dégoute un peu, je reste de marbre. Et puis, boum, une Kathleen Turner en roue libre débarque avec quinze kilos de trop et, avec elle, l’énergie foncièrement « contre-culturelle » de John Waters. Une énergie « sale », associée à une esthétique de sitcom qui montre l’horreur de ce qui se croit normal. À ce moment là, j’ai l’impression que c’est moi tout seul contre le nombre que Turner et Waters parviennent enfin à dérider.
ED WOOD de Tim Burton
Pour moi, le plus beau film sur le cinéma et le désir éperdu d’en faire. Pour le dire autrement : Très, très supérieur à La Nuit Américaine de Truffaut... Doublé d’une déclaration d’amour sans aucune démagogie à tous les inadaptés, les freaks, les marginaux et autres damnés de la Terre.
SEVEN de David Fincher
Encore un pur film de genre fait par un auteur obsessionnel mû par une idée impérieuse et personnelle du cinéma. Du cinéma d’exploitation au fond, impur et désespéré, mais fait avec une rigueur et une classe folles. TOUT ce que j’aime voir.
GHOST IN THE SHELL de Mamoru Oshii
La SF, la vraie, portée à un niveau éblouissant d’intelligence, d’invention formelle et de sensibilité. A côté, la SF occidentale a toujours l’air d’avoir cinquante ans de retard.
STARSHIP TROOPERS de Paul Verhoeven
Excroissance déchainée du cerveau retors de Verhoeven. Une sorte de réponse cinglante aux certitudes Hollywoodiennes, comme un doigt tendu, doublé du plus grand « film de guerre dans l’espace » jamais réalisé.
VORACE d’Antonia Bird
Parce qu’on est encore terriblement peu nombreux à connaitre ce chef-d’œuvre et qu’il faut continuer à « hurler » que c’en est un.
HIGH FIDELITY de Stephen Frears
Faux film léger, vrai grand film. M’a sauvé la vie plus d’une fois quand j’étais quitté par une femme que j’aimais, je refile l’info comme un tuyau.
LES AUTRES d’Alejandro Amenàbar
Réussit tout ce que j’ai foiré dans Saint-Ange. Un film rêvé, pour moi... J’aurais pu ne jamais m’en remettre. Mais il se trouve que ma propension à l’envie, voire à la jalousie, est très inférieure à ma capacité d’admiration. Ouf !
SIGNES de M. Night Shyamalan
De la première à la dernière scène, je suis en transe. De Dreyer à Shyamalan, une trajectoire de grandes œuvres puritaines s’interrogeant sur la foi même qui les fait tenir droit. Mon film favori d’un cinéaste qui me passionne, qu’il rate son coup (ce qui lui arrive régulièrement) ou pas.
LES LOIS DE L’ATTRACTION de Roger Avery
C’est un peu triste de penser que nous ne sommes que quelques-uns à savoir que ce film est un chef-d’œuvre. Il faut, plus généralement, le redire à l’envie : la filmographie de Roger Avary est terriblement sous-estimée.
LE CONVOYEUR de Nicolas Boukhrief
Quand on se demande si le cinéma français contemporain peut être aussi excitant, aussi palpitant qu’il l’a été quelques décennies plus tôt, ce film-là est une réponse assez magnifique.
LE CHÂTEAU AMBULANT d’Hayao Miyazaki
Quand on aime le fantastique et ce qu’il sous-entend d’idées bizarres, de fulgurances et de trouvailles constantes, ce film est un prodige. Je réitère pour l’animation ce que j’ai dit pour la SF : nous, occidentaux, sommes très, très à la bourre.
THE HOST de Joon Ho-Bong
Réussir à ce point un film qui joue sur autant d’humeurs et de registres différents, le tout en livrant quand même le grand « film de monstre » qu’on était tous allés voir. Merde, ça m’a terriblement impressionné.
LA NUIT NOUS APPARTIENT de James Gray
Le meilleur film d’un cinéaste visant rien de moins qu’à proposer de pures tragédies classiques, à une époque de cynisme et de dérision de tout. Comme pour Shyamalan, quel que soit le niveau de réussite de chaque film : admiration éternelle.
IL DIVO de Paolo Sorrentino
Pour moi, le plus grand cinéaste européen actuel, sorte de miraculeux chaînon manquant entre Visconti et Argento. Détesté par les Inrockuptibles, je ne sais quelle preuve de plus il vous faut, les amis.
GRAN TORINO de Clint Eastwood
Le dernier très grand Eastwood. Je sais que beaucoup font la fine bouche devant sa simplicité Biblique, je ne comprends toujours pas, à part que certains ont du mal avec les choses simples.
AMER d’Hélène Cattet et Bruno Forzani
Parce que, quoi qu’on pense du côté foncièrement « remix » de leur cinéma, c’est quand même foutrement revigorant de savoir qu’on peut produire de tels objets en France après toutes ces années de sinistrose.
L’ORDRE ET LA MORALE de Mathieu Kassovitz
Le meilleur film français de l’année, ni plus ni moins. Un objet passionnant et pris de si haut ou avec tant d’indifférence par tant de gens que les bras m’en sont tombés. Faut quand même pas déconner.
LE TERRITOIRE DES LOUPS de Joe Carnahan
Quand on aime le cinéma d’aventure à la ligne claire, on se demandait ce qu’Hollywood attendait pour nous en refaire un. Un vrai, habité, épique, traversé d’un souffle lyrique et noir, un qui nous fasse vraiment tripper et qui ne soit pas destiné aux enfants de dix ans. C’est fait. On attendra sans doute encore des années pour en voir un autre de cette trempe.
THE MASTER de Paul Thomas Anderson
Ou comment une poignée de jeunes cinéastes américains brillantissimes se tapent de front le système des studios Hollywoodiens pour imposer leur épatante vision d’auteur au sein d’une industrie, d’une époque, d’un monde qui n’en veut plus du tout. Dieu reconnaitra les siens, le cinéma aussi, lâchez rien, les gars.
FURY de David Ayer
Confirme merveilleusement une vieille constatation cinéphile : Aux USA, avec le western, le film de guerre est le genre qui aura produit le plus de bons films. Des centaines et des centaines de putain de bon films...
IT FOLLOWS de David Robert Mitchell
« Servir le genre plutôt que de se servir du genre pour faire son malin » n’est pas une affaire de principe chez moi, ce serait stupide, encore moins un dogme, ce serait sinistre. Il me parait simplement que ce qui me meut trouve toujours un très fragile point d’équilibre entre la contrainte des conventions, des règles éternelles de la dramaturgie et la velléité de s’exprimer personnellement. Ce que Scorsese appelait « le cinéma de contrebandiers ». Pour moi, ce point miraculeux donne immanquablement ce qu’il y a de plus beau, de plus poignant au cinéma. Pour le dire autrement : le contraint It follows me parait fort supérieur au très libre Under the Silver Lake.
BONE TOMAHAWK de S. Craig Zahler
Réussit le double prodige d’être à la fois un grand western ET un grand film d’horreur. Inédit en salles, ce qui en dit long sur la façon dont les films sont aujourd’hui appréhendés et exploités.
THE JANE DOE IDENTITY de André Ovredal
Une merveilleuse série B, humble, inventive, flippante, ludique... mais résolument conçue au premier degré. Avec le risque, à chaque scène, que ça ne fonctionne pas. Et ça fonctionne du tonnerre de Dieu. Ce cinéma de genre « pur », qui disparait des salles chaque année un peu plus... (long soupir)
Publié le 09/11/2018 par Laurent Pécha