Déjà illustré dans un de nos films e-cinema.com, The Free world, le thème très tragédie grecque du personnage qui ne peut échapper à son lourd passé apparaît comme un incontournable du genre que le cinéma a exploité abondamment au fil des années. Pour autant, à y regarder de plus près, on a finalement eu du mal à choisir notre top. Sans doute aussi parce que ceux qui ont fini par être sélectionnés écrasent, du moins pour la moitié, la concurrence de la tête et des épaules.
John Wick (2014) de Chad Stahelski
La voie de la rédemption peut ne tenir qu’à l’attachement d’un animal de compagnie. Quand on tue son chien, John Wick, taciturne tueur à gages à la retraite, reprend du service pour se venger implacablement et donne l’occasion aux spectateurs d’apprécier l’une des meilleures séries B de ces dernières années. Et un Keanu Reeves sans âge et de plus en plus charismatique d’incarner une nouvelle figure d’« action hero » culte. Pour preuve, on attend tous avec impatience la troisième aventure sanglante de Mr Wick malgré la déception d'un numéro 2 frustrant.
Les Tontons flingueurs (1963) de Georges Lautner
Dans ce top, on n’est pas là pour sourire, nos héros ayant une sérieuse tendance à morfler. Alors, une petite parenthèse est la bienvenue dans ce monde de brutes avec le plus célèbre des films de Lautner. On aurait tout aussi bien pu choisir Ne nous fâchons pas qui lui aussi mettait en vedette un truand repenti que son passé rattrape mais l’aspect cultissime et les dialogues façon puzzle des Tontons flingueurs ont pris le dessus.
Arrivederci amore, ciao (2005) de Michele Soavi
Avant de laisser une large place à l’Amérique qui s’y connaît en figures de repenti maudit, un petit tour du côté de l’Italie pour retrouver le malheureusement dernier grand film à date d’un cinéaste rital ayant donné ses lettres de noblesse au cinéma horrifique de son pays à la fin des années 80, début des années 90 (les deux bijoux que sont Bloody Bird et Dellamorte Dellamore notamment). Délaissant son genre de prédilection, Michele Soavi signait un étonnant et mémorable polar avec Arrivederci amore, ciao. Radiographie d’une Italie en pleine déliquescence rongée par la corruption et le sexe, le film ne laisse aucune échappatoire à son anti-héros et n’hésite jamais à nous plonger dans les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine. Se faisant Soavi retrouve même l’inspiration esthétique du cinéma fantastique qu’il apprécie tant. Grand film qui mérite impérativement une (re)découverte.
A History of violence (2005) de David Cronenberg
Cinéaste qui n’a cessé de se réinventer tout en gardant ses thèmes de prédilection, David Cronenberg commençait avec A history of violence une nouvelle page de sa filmographie. Si on lui préfère largement celle des années 80 (ses trois chefs-d’œuvre y sont nés : Vidéodrome, La Mouche et Faux-semblants), il n’en demeure pas moins que cette histoire de tranquille père de famille confronté à son sombre passé est ce qu’il a fait de mieux au 21ème siècle. Superbement interprété par un charismatique Viggo Mortensen, le film à la violence sèche, offre un regard des plus déstabilisants sur les sacro-saintes valeurs familiales.
Le Parrain 3 (1990) de Francis Ford Coppola
Évidemment c’est le moins « bon » film de la trilogie mais quand on parle de rédemption impossible, c’est l’opus qui s’impose. S’inspirant de la tragédie grecque, Coppola nous plonge avec une mise en scène opératique dans l’inéluctable destin maudit qui colle aux basques de son cher Michael Corleone. Plus dure sera la chute pour le patriarche qui jusqu’au bout tente d’effacer le sang collant au nom des Corleone. En résulte une dernière demi-heure absolument sublime, un majestueux ballet de morts qui reste l’un des morceaux de bravoure les plus incroyables que le réalisateur d’Apocalypse now ait signé dans sa prestigieuse carrière.
The Yards (2000) de James Gray
En digne héritier de Coppola, James Gray renoue avec des thèmes où les liens de sang font naître les plus beaux drames. Dans ce fantastique polar, véritable pierre angulaire du cinéma de Gray, la quête vers le droit chemin prend vite des allures de tragédie grecque tant les conflits s’avèrent des plus cornéliens pour notre héros, parfaitement incarné par Mark Wahlberg, jamais aussi meilleur que lorsqu’il est dirigé par de très grands cinéastes (remember le Boogie nights de Paul Thomas Anderson). Donnant ses lettres de noblesse au classicisme moderne, James Gray nous entraîne dans un récit mélancolique à la noirceur contagieuse sublimé par des clairs-obscurs jaunâtres magistraux. Une des grandes œuvres américaines du nouveau millénaire.
Le Démon des armes (1950) de Joseph H. Lewis
On l’avait déjà classé dans un autre top où l’on spoilait par son intitulé le final de ce petit chef d’œuvre finalement trop méconnu. D’une banale histoire d’amants hors la loi, Joseph H. Lewis révolutionna le polar en mélangeant les genres existants ou à venir. On y découvre tous les courants du cinéma mondial (expressionnisme allemand, néoréalisme italien, liberté de ton façon Nouvelle vague) au service d’un récit où la fascination pernicieuse pour les armes (formidable titre français au passage) entraîne son héros vers un destin qu’on pressent funeste.
The Killer (1989) de John Woo
Une fois n’est pas coutume, l’affiche annonce parfaitement la couleur en proclamant fièrement un film qui « réinvente le polar ». Découvert en cassette VHS import à l’époque, le film de John Woo constitua un choc esthétique sans précédent. Un style unique où les gunfights prennent des allures de ballets, où la violence devient belle et fascinante. Une marque de fabrique que John Woo réutilisera toute sa carrière mais jamais avec autant de bonheur qu’ici (exception faite de A toute épreuve). Sans doute parce que The Killer a ce petit plus de romantisme grâce à sa figure de tueur à gages (Chow Yun-Fat dans le rôle d’une vie) obligé de rempiler pour venir en aide à une jeune femme ayant perdu la vue par sa faute.
Impitoyable (1992) de Clint Eastwood
Western crépusculaire, œuvre plus que majeure d’un des plus grands cinéastes encore en activité, Impitoyable est ici incontournable. En tueur rangé des affaires pour l’amour d’une femme (depuis décédée), élevant tranquillement ses enfants, Clint Eastwood fait figure de fantôme usé stigmatisant toute l’âpreté d’un monde qui ne laisse pas de place aux plus faibles. Réflexion troublante sur la violence, ne glorifiant pas ses personnages au point de ne jamais prendre partie sur la rédemption de son anti-héros, le film de Clint Eastwood ressemble à un best of de toutes les influences westerniennes passées. Et c’est aussi accessoirement l’un des films les mieux photographiés du monde.
L’Impasse (1993) de Brian De Palma
Pour venir à bout de Clint, il fallait un sacré monstre à la barre. Brian De Palma est de cet acabit. Immense pourvoyeur de chefs d’œuvre (Phantom of the paradise, Carrie, Scarface, Blow out, Les Incorruptibles pour ne citer qu’eux), le cinéaste signe avec L’Impasse son dernier immense film à date. Armé d’une confiance en soi absolue, De Palma nous assène la fin tragique de son héros en ouverture pour mieux nous défier. Par la seule force de sa mise en scène, il va nous faire croire à l’impossible : la rédemption de Carlito formidablement campé par un Al Pacino au sommet de son art (c’est son plus beau rôle !). Ceux qui ont déjà vu L’Impasse, ont TOUS eu à un moment le sentiment que Carlito allait réussir à prendre ce satané train pour partir avec sa belle. Mais, non, Benny Blanco est toujours sur le quai. Et De Palma de jubiler à nous avoir faire croire à la plus bouleversante histoire de non happy end de l’Histoire du cinéma.
Publié le 22/06/2018 par Laurent Pécha